INTERVIEW D’E U R A S I A N FINANCE
L’EMERGENCE DE L’ECONOMIE DE LA CONNAISSANCE
1. Puis-je tout d’abord vous demander de nous décrire cette fondation, son objet et la valeur qu’elle attribue à l’innovation dans le contexte économique qui est le nôtre aujourd’hui?
La Fondation accompagne tous les acteurs territoriaux qui souhaitent développer au quotidien une vraie démarche prospective. Elle a été créée par l’ONG ARENOTECH et le Réseau européen des Villes Numériques. À cette fin, elle est donc d’abord aux côtés des décideurs économiques qui souhaitent comprendre notre monde et donc leurs marchés potentiels et l’organisation dont il leur faut doter leur entreprise pour vivre l’innovation au quotidien, non pas comme une sorte d’incantations à la mode (les périodes de crises se nourrissent beaucoup, médiatiquement surtout, de formulations incantatoires), mais comme un nouvel énoncé de l’aventure qu’est par essence la création et le développement d’une entreprise.
A l’échelle donc du territoire et de l’entreprise, elle crée concrètement des espaces de l’innovation – des LABORATOIRES VIVANTS selon l’expression consacrée – où se rencontrent ces mêmes acteurs économiques, des chercheurs, mais aussi et surtout des usagers confrontés aux nouveaux produits et services, aux projets qui lui sont présentés, à la vision de l’avenir qu’ils peuvent incarner.
La Fondation travaille ainsi particulièrement aux nouveaux rapports que l’entreprise et le territoire entretiennent ensemble, notamment dans le contexte de la conquête des marchés. Elle occupe depuis plusieurs mois de fait une position singulière, dans un contexte de choix économiques et financiers que peu d’institutions avaient osé évoqué et qu’elle a été amené à formuler du fait de la succession de choix archaïques faits par de multiples acteurs en Europe du fait notamment de:
1. La réticence à l’égard de nouvelles formations, l’absence de toute vision globale et de la volonté d’élaborer une vision prospective, pratiques normatives obsolètes, rhétoriques relatives à la gestion de l’identité déconnectées de tout réel, regards inconséquents en termes de prospective technologique, la non prise en compte de l’entreprise en réseau, de certaines formes de délocalisations, du nécessaire appui devant être apporté à certains secteurs, la méconnaissance surtout des besoins des petites entreprises innovantes…
2. La crise financière de la dette qui touche de plein fouet les économies occidentales semble être combattue par ces dernières, schématiquement, en comblant les dettes existantes par de nouveaux crédits. Quelle critique pouvez-vous documenter autour d’une telle attitude?
LA CRISE DES DETTES SOUVERAINES
Elle met en avant clairement les deux défis majeurs que vous évoquez : des institutions publiques économes et - plus encore - ACCEPTANT de mettre en exergue une vraie aptitude à diminuer leurs dépenses afin de rassurer - pas seulement les investisseurs -: renoncements en matière de prélèvements fiscaux, subventions locales… l’urgence d’investissements réellement dédiés à l’innovation et au développement économique d’aujourd’hui et de demain.
D’où trois difficultés majeures, dans le contexte où nous sommes d’émergence de paradigmes d’une autre économie: d’abord ces deux défis apparaissent a priori parfaitement antagonistes comme le sousentend d’ailleurs votre question. Mais ce n’est pas seulement la difficulté du paradoxe de se positionner en même temps sur ces deux stratégies qui apparaît la plus délicate…
- le premier défi - ces derniers jours l’ont bien démontré- se heurte à de vieux schémas d’exercice de la gouvernance : d’une manière ou d’une autre, sous les yeux narquois des pays en voie d’émergence (à qui nous nous présentions il y a encore peu en modèles d’une certaine démocratie), nous sommes en train de nous préparer une vraie crise de la gouvernance : que devient la représentation démocratique lorsqu’il est question de placer un pays sous tutelle bancaire et financière… ?
- le second défi porte l’essentiel de nos espoirs: le choix de toutes les options réellement innovantes, réellement productives, systématiquement évaluées en termes de rentabilité…
Dans les deux cas, on se heurte tout naturellement aux schémas pré-établis, aux habitudes, aux intérêts multiples. Mais aussi et surtout, on assiste à de multiples positionnements purement basés sur l’ignorance: chacun y va de son appréciation sur la Grèce contemporaine sans rien savoir de l’économie du pays, de ses structures économiques, et encore moins d’un horizon culturel qu’au mieux un éventuel séjour sur place ne peut aider seul à comprendre !
L’envie ne nous a pas manqué de citer, en écoutant certains responsables, les formulations économiques d’Aristote ou encore certaines envolées de Démosthène sur l’agora il y a de cela deux millénaires et demi!
Les débats qui ont abouti à l’accord du 23 juillet dernier ont ainsi véhiculé un nombre aberrant de sottises, dont le caractère commun était tout simplement l’ignorance de ce qu’était traditionnellement l’économie grecque, son rapport à la vie politique, ce que signifiaient certaines attitudes et déclarations, et surtout – et avant tout – ce qu’étaient les besoins des Grecs pour consolider leur économie et tout simplement redonner confiance (pour ouvrir de nouveaux champs d’activité ou encore consolider l’activité économique qui en a bien besoin…).
LA NOTION DE DEVELOPPEMENT DURABLE
3. La notion de « développement durable » tient une part singulière dans votre Fondation car il est présenté sous une forme positive : le développement durable par l’innovation et la communication. Qu’est-ce qui lie et qu’est-ce qui distingue votre paradigme de développement durable des autres conceptions altermondialistes, plus négatives?
Vous évoquez notre conception plus positive de cette notion : peut-être est-ce dû au fait que nous avons accompagné de multiples projets en la matière qui nous au mis pendant plusieurs années en présence d’acteurs très différents dont le positionnement nous a permis de quasiment TRACER LES CONTOURS des attentes des uns et des autres, mais surtout de ce que chacun pouvait fournir dans un contexte de construction d’un territoire dont chacun souhaitait qu’il se traduire par la durabilité de son développement économique.
Vous évoquez notre conception plus positive de cette notion : peut-être est-ce dû au fait que nous avons accompagné de multiples projets en la matière qui nous au mis pendant plusieurs années en présence d’acteurs très différents dont le positionnement nous a permis de quasiment TRACER LES CONTOURS des attentes des uns et des autres, mais surtout de ce que chacun pouvait fournir dans un contexte de construction d’un territoire dont chacun souhaitait qu’il se traduire par la durabilité de son développement économique.
Or, très concrètement, plus il s’agissait de parvenir à ce que l’on pourrait appeler une INTELLIGENCE CONTRIBUTIVE (au sens étymologique de ces mots), plus émergeaient les regards individuels et les attitudes «NIMBY» de toutes sortes.
Ceci rejoint aussi les attitudes négatives que vous évoquez.
Mais par contre beaucoup d’attitudes changent quand intervient l’usage de technologies de la connaissance et de divers outils numériques: un premier niveau de VISIBILITE avec des chiffrages, des informations avec des représentations 3D, de la réalité augmentée, la géolocalisation des données, une CARTOGRAPHIE DES COMPETENCES et une véritable réflexion sur l’attractivité que l’on veut créer pour un territoire…
Alors, bien des attitudes changent, les vieux schémas s’érodent ou s’effondrent, parfois dans la tristesse d’illusions perdues. Les exemples et bonnes pratiques venues d’ailleurs constituent de même naturellement la base d’échanges renouvelés. Et alors peuvent se mettre en place des considérations sur le développement souhaité d’une ville et d’un territoire : avec les possibles développements d’une vraie économie locale du savoir, avec la réconciliation des référents à l’identité du lieu et les vecteurs qui le portent avec les innovations – technologiques ou non – qui peuvent lentement se développer ceci au travers d’espaces de l’innovation, de lieux de débats et d’expérimentations.
C’est tout l’enseignement au demeurant du LABORATOIRE VIVANT DES TERRITOIRES DE DEMAIN.
4. Les territoires de demain sont amenés à davantage de communication et les technologies en la matière permettent cette communication sans rencontre physique. Comment, dans ce cadre, voyez-vous évoluer la perception de la culture par les populations de ces territoires?
La culture peut-elle rester l’appartenance et l’identité d’un groupe, relativement homogène ou bien voyez-vous la culture devenir un sujet de média entre territoires?
Votre question évoque d’abord la COMMUNICATION TERRITORIALE.
COMMUNICATION, CULTURE, IDENTITE
Votre question évoque d’abord la COMMUNICATION TERRITORIALE.
Un territoire a historiquement et naturellement toujours été marqué par des problématiques de communication: nous avons l’habitude, en arrivant sur un territoire, d’avoir à l’esprit les flux d’information et de savoirs qui l’ont caractérisé et le caractérisent aujourd’hui: les grands hubs informationnels y sont la plupart du temps toujours les mêmes, les grandes finalités (oppositions, rapprochements avec d’autres territoires par exemple) y sont souvent de même nature à travers l’histoire. Tout cela pour bien relever la forte permanence des apports de la communication territoriale: les FLUX NUMERIQUES et les RESEAUX s’insèrent très largement dans la continuité.
Une communication territoriale réussie est d’abord une action globale - elle l’est rarement… - qui tient compte d’un tel constat, ce qui n’est malheureusement – et de loin – pas toujours le cas. Ce ne sont pas seulement aujourd’hui les réseaux sociaux qui changent les stratégies des collectivités territoriales en la matière, c’est par exemple aussi le changement dans les catégorisations des informations.
Il nous faut d’abord être conscient de l’inflation sémantique que l’expression même de «culture» a connue au cours de ces dernières décennies : à partir de la notion de champ de savoirs relativement traditionnels qu’il désignait, le mot a fini pour recouvrer un horizon comportemental très large.
LA PERCEPTION CULTURELLE
Il nous faut d’abord être conscient de l’inflation sémantique que l’expression même de «culture» a connue au cours de ces dernières décennies : à partir de la notion de champ de savoirs relativement traditionnels qu’il désignait, le mot a fini pour recouvrer un horizon comportemental très large.
On évoquera ici surtout les horizons culturels dont le rôle dans le développement économique est de plus en plus important, au travers notamment de la diversité des usages qu’il suscite. Le rapport à une technologie n’est ainsi pas le même, bien évidemment, suivant l’horizon culturel dont il est issu et par lequel il est accepté. Les outils technologiques qui sont les nôtres aujourd’hui et qui le seront demain sont donc et seront d’abord des outils au service de certaines cultures, selon notamment la manière dont ils se seront emparés : en ce sens, il est clair – vous avez raison – que ce seront les média entre les territoires, mais aussi les pays et les grandes zones de développement économique de notre planète. La culture est ainsi devenue un élément majeur de l’INTELLIGENCE ECONOMIQUE de ce siècle.
Votre question évoque aussi l’IDENTITE.
Celle-ci était il y encore peu considérée comme un mot piégeant facilement les démarches idéologiques. Nous avons l’habitude de dire au sein de la Fondation, que sans gestion de l’IDENTITE, il n’est guère évident de développer des processus d’INNOVATION.
L’identité culturelle est donc tout à la fois un vecteur majeur de l’attractivité d’un territoire et notamment de son attractivité économique (au-delà même de la qualité de vie dont il constitue un élément clef), un élément de cohésion, voire de défense et parfois même de facilitation d’insertion pour des personnes étrangères à ce territoire.
IDENTITE ET INNOVATION CONSTITUENT DONC UN BINOME MAJEUR DE L’ECONOMIE DE LA CONNAISSANCE.
L’identité culturelle est donc tout à la fois un vecteur majeur de l’attractivité d’un territoire et notamment de son attractivité économique (au-delà même de la qualité de vie dont il constitue un élément clef), un élément de cohésion, voire de défense et parfois même de facilitation d’insertion pour des personnes étrangères à ce territoire.
5. Chaque époque regorge de voies innovantes. Le morcellement territorial au Moyen Age européen (et le repli des populations subséquent) a permis à chaque entité de développer ces propres innovations. A présent que le mouvement de globalisation atteint la planète dans son entièreté, pensez-vous qu’il y ait un risque de standardisation de l’innovation à cause de la perpétuelle communication des territoires entre eux ?
L’INNOVATION: GLOBALISATION ET RISQUE DE STANDARDISATION.
Votre question rappelle les innovations produites à différentes époques et par de multiples territoires dans l’histoire. Le seul fait que nos contemporains et singulièrement les décideurs économiques tiennent à l’esprit une telle réalité aiderait beaucoup notre époque à affronter les crises évoquées.
Il nous faut d’abord nous reporter à la précédente mondialisation que nous connue il y a de cela un demi-millénaire: elle nous a montré une multitude de conséquences, allant de standardisations plutôt heureuses et partiellement à l’origine du développement - au XVIIème siècle – des débuts d’une vraie pensée scientifique – aux phénomènes de refus de l’autre et de ses apports potentiels – c’est là, on le sait, une partie de l’histoire de la conquête américaine.
La construction de villages globaux – comme l’est de fait devenue notre planète – entraîne donc des phénomènes de glocalisation où les horizons culturels les mieux affirmés et les mieux structurés (notamment dans leur vie économique) peuvent évidemment l’emporter au travers d’une large standardisation de leurs propres réalisations.
C’est toute la question de la diversité linguistique – aussi importante que la biodiversité -, dont en réalité la pratique ne nuit nullement à la richesse des échanges, au contraire bien évidemment.
La vraie réponse des acteurs territoriaux notamment est une parfaite connaissance de l’autre : la polarisation des compétences, l’économie des liens et ce que nous appelons aujourd’hui de manière générale la «diplomatie des savoirs» illustrent parfaitement
Une polarisation de compétences sur un territoire ne s’enrichit en effet qu’au travers une clustérisassions et des réseaux de compétences construits au travers des liens entre les pôles den savoirs qui caractérisent un territoire et qui confèrent à une ville et à une région une expertise qui lui vaudra l’essentiel de ses dynamiques économiques.
On est là au coeur de l’économie qui se construit sous nos yeux et qui nous concerne tous : nous avons tous des compétences que nous pouvons enrichir grâce aux institutions publiques et privés qui constituent une grande partie de notre écosystème de vie.
Le quartier de demain sera ainsi constitué de communautés de connaissance au sein desquels chacun pourra et aura à afficher ce qu’il est, ce que lui a donné son lieu de naissance, ses origines familiales et ses activités professionnelles. C’est d’abord en cela que la collectivité territoriale – ou encore les institutions étatiques - doivent l’aider!
L’économie en émergence peut constituer pour l’Europe une «nouvelle Renaissance», mais il nous faut bien avoir conscience ce que nous entendons réellement au travers de telles affirmations: il s’agit là aussi de moments de profondes remises en causes idéologiques, sémantiques, intellectuelles. Il s’agit aussi de moments souvent difficiles en termes économiques et financiers. Il s’agit en fait surtout de moments de choix, de renonciations multiples: adieu alors au confort des idées, des pratiques et des habitudes! Il n’est nul besoin de grandes analyses prospectives pour bien percevoir que c’est là ce qui caractérisera les deux ou trois décennies à venir.