jeudi 17 octobre 2013

Seneca et Ciceron



Si j'évoque ici l'homme de Cordoba, c'est bien évidemment à l'auteur d'écrits comme "De la tranquillité de l'âme " ou "De la Constance du Sage" que je pensais, mais c'est aussi à celui qui dans sa vie a eu tant de mal à mettre en pleine harmonie ses paroles et son action. Quand à Cicéron, j'ai été surtout frappé par la puissance que pouvaient aujourd'hui encore avoir ses mots. Son texte sur le vieillesse me semble ainsi toujours aussi actuels que celui sur l'amitié (quand à son discours contre Catilina, je le verrais bien remplacer avantageusement nos débats politiques télévisés...).

Socrate... Mon époux me dit souvent se méfier de la manière dont Platon nous rend compte de la véritable personnalité de Socrate; pour ce qui est des grecs, la réflexion sur l'âge me semble bien plus riche à l'époque hellénistique : j'y pensais encore récemment après deux séjours consécutifs à Alexandrie au printemps.

Ma question que je me formule est en fait celle du choix entre l'homme qui assume jusqu'au bout ses choix et celui pour qui l'âge permet davantage de transiger, ce qui à mon sens, le rend finalement victime de ses incohérences dans leur mise en œuvre au quotidien. Le comble: le premier n'est-il pas, sommes toutes, au sens qu'on lui confère aujourd'hui, plus stoïcien que le second ? N'est-ce pas là l'une des facettes des choix que nous avons à faire quand nous souhaitons influer sur ceux de la société où nous vivons?

Quand pleuvent les hochets…

Janvier  2006
Impossible de ne pas s’en rendre compte : de décerner médailles et prix connaît, en ces temps d’immatérialisation des services un bien curieux renouveau. Elle semble même faire fureur au point qu’il devient impossible de prendre tranquillement un verre dans une réception sans qu’il ne s’y trouve un participant s’entêtant à vouloir transcender le concert des paroles pour … remettre un prix. Gare d’ailleurs aux manifestations qui n’auraient à fournir aux médias le leur : c’est carrément les décourager d’assister à votre rencontre.

Amis lecteurs qui seriez de ceux à ne pas encore détenir d’objets matérialisant l’un de ces prix - l’un de ceux qu’il ne vous viendrait même pas à l’idée d’acquérir pour un euro dans la boutique de l’indien du coin -, voici quelques conditions à remplir.

La première consiste évidemment à ne fâcher personne, on aura bien compris que ce n’en était pas là généralement l’objectif : il est donc essentiel de n’avoir rien fait, ni accompli dans quelque domaine que ce soit ; sinon, bien évidemment, vous auriez forcément au moins un ennemi qui ne songera jamais à prononcer votre nom dans l’intention de vous distinguer d’autrui. Si tel était votre cas, pensez fort à occulter tout ce qui pourrait, à un titre ou à un autre, vous être dû. Il sera largement temps de le rappeler, une fois photographié avec votre prix en main.

Seconde condition, tout droit issue d’un monde saisi de networking aigu : savoir qu’on ne donne qu’à son propre réseau, tout en réservant naturellement une médaille - pas voyante ou, encore mieux, trop voyante - au soldat inconnu qui se répandra volontiers en louanges à votre égard (c’est même là l’une des conditions d’une bonne remise des prix : tous les formateurs le savent, il est impératif de mettre les cancres de son côté). Jouer les cancres relève ainsi en la matière d’une vraie stratégie.

Troisième impératif : se rendre compte que l’organisateur doit nominer large. A quoi ressemblerait une remise sans public?. Pour profiter de l’inflation du stock de César accessoires - la citation d’une association en constitue le meilleur créneau, cela n’intéresse personne -. Ou bien évidemment figurer soi-même au jury, pratique fort courante ces derniers temps.

Vous voilà donc potentiellement enrubannés et décorés ! Mais vous ne saurez pas pour autant combien une association devrait vous être redevable ou un cabinet de communication, vous et vos co-primés. Dommage au fond, car une récompense peut, il est vrai, le cas échéant faire rêver et peut même inciter à se mobiliser : au lieu de cela, c’est tout un écosystème que nous observons, de renvois réciproques d’ascenseurs peu virtuels et ce sont de bien mauvaises comédies que nous jouons devant les plus jeunes et les plus entreprenants d’entre-nous.

Plaute et Térence sont de retour, avec qui plus est des acteurs fatigués et des planches usées. Lors d’une toute récente remise de hochets, deux jeunes rentrèrent ainsi dans la salle ; l’un s’étonna : « je croyais que nous avions changé de monde », soupira-t-il. Et l’autre de lui répondre, sans plus de ménagement : « ici, c’est le musée, le savoir c’est en face »
On notera que toute ressemblance avec des personnages existants ne saurait être que purement fortuite, nous déclinons donc toute responsabilité à l’égard d’une quelconque ressemblance dont pourraient faire état certains de nos contemporains.


Extratégies semantiques de groupes de pression (2004)

A propos de la sortie de l'ouvrage de Susana Guerrero et Emilio Alejandro Núñez
"El lenguaje político español" (Editorial Cátedra)

Les deux premières stratégies sémantiques de certains groupes de pression se rencontrent dans le savoir-faire:
  1. comment parler sans rien dire, 
  2. comment utiliser à profusion les euphémismes, 
mais en ce qui concerne la troisième, les deux groupes utiliseront des stratégies autres:
  1. les uns utiliseront le forum romain et la revendication formative (Tacos, insultos, descalificacione...)
  2. les autres l'agora grec et la ruse, la rouerie et la roublardise (Confusion, médisance, secret...)

Il est vrai que n'ayant point d'idées à développer, tous deux se voient confinés à leur propre frustration. Incapables donc de construire, ils se consacrent à tout prix à la conservation de leurs propres pouvoirs d'influence et d'intérêt
Des vérités bonnes à dire... Prochaine livraison: restituer l'agora et reconstruire le forum


mercredi 16 octobre 2013

Les bobos - nouveaux schadoks - continuent à enrichir leur vocabulaire

2004
Billet d’humeur


Veufs de leur vrai créateur, et alors même qu’ils sont en passe d’accéder à la postérité
Les bobos - nouveaux schadoks - continuent à enrichir leur vocabulaire
Laura Garcia Vitoria

Tout heureux d’être enfin présents comme tels dans les dictionnaires pour leurs vertus de pseudo «intelligence collective» - ils entrent dans le « Petit Larousse » - [1], les bobos parisiens ne se lassent pas de renouveler leur sémantique au fur et à mesure de leurs dîners en ville. Notre billet d’humeur, on le sait, s’est affiché pour objectif de suivre en cela leurs industrieux efforts pour décidément apparaître moins sots. En ce morne été, leur dernière arme rhétorique s’appelle « l’intelligence ambiante ».
Chacun sait bien que le concept d’intelligence désigne, depuis la grande mutation urbaine de l’Europe il a de cela huit siècles, la faculté de comprendre. On comprend dès lors leur acharnement à l’utiliser afin de mieux éviter ce qui pourrait leur rappeler, de près ou de loin, le vocabulaire de la compétence.
Ce d’autant qu’une telle expression - qui dépasse à l’évidence, malheureusement pour eux, les outils technologiques mis en œuvre - ne recouvre pourtant naturellement en rien une nouveauté de ce début de siècle. Il faut être singulièrement ignorant de l’histoire de nos territoires et de leurs cartographies successives (mais le fonctionnement de leur gène est largement basée sur une systémique achronique) pour omettre la constante du rôle de la mobilité et de l’apport informationnel qu’il permet depuis longtemps aux voyageurs ou tous ceux qui fréquentent les grandes routes d’échanges économiques ou de pèlerinages. On sait que les rencontres de mémoires, l’acculturation de croyances, la genèse de processus d’innovation constituent à cet égard le pain quotidien de tout spectateur quelque peu avisé de notre temps.

Ce n’est pas, une fois de plus, l’outil de communication et de mobilité en lui-même qui compte, mais son inscription dans le temps long des pratiques sociétales et la transposition des mécanismes qu’ils révèlent dans les exercices prospectifs à l’échelle d’une ou deux décennies. Et c’est ce recul indispensable et les projections qu’il permet en direction du présent et du futur qui seul nous autorise des analyses quelque peu pertinentes.
Dès lors, l’enseignement majeur ne se situera donc pas vraiment du côté du futur téléphone mobile qui nous servira de magnétoscope, mettra à notre disposition ses capteurs de trois mégapixels et ses possibilités en matière d’appels ou de messages vidéo qu’il s’agira d’abord, mais de l’introduction de tous ces matériaux et images produits et utilisés en situation de mobilité parmi les vecteurs territoriaux et locaux des processus de construction de connaissances.
Et si nous réfléchissions sur l’enrichissement qu’autorisent ces matériaux et images dans notre perception de la mémoire territoriale ou, à l’inverse, sur celui de l’environnement immédiat qui est le nôtre au moment où sont visionnés ces messages qui pourtant, si souvent, parlent de nous-mêmes ? Ne serait-ce pas plutôt là l’essence d’une situation d’intelligence ambiante ?
Alors, laissons là le discours de bobos dissertant sur l’existence ou l’inexistence des « usages », abandonnons à eux-mêmes nos nouveaux sophistes et autres citoyens en herbe pour relire Erasme ou regarder les fresques des artistes de la Renaissance lorsque la mobilité enrichissait leurs perceptions iconographiques et démultipliaient les processus d’acculturation des savoirs.

C’est là à l’évidence que nous attendent les enjeux de demain, et non dans les jeux qui permettent de continuer à nous enorgueillir sur nos créations de vocabulaire pour nous demander ensuite - quintessence de la démarche bobo -, à la manière des nominalistes contemporains des formes flamboyantes de notre Moyen-âge finissant, si au fond ils correspondent à une quelconque réalité.
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[1] On note l’intronisation des « bobos » qui, « déjantés » ou pas, en « solo » ou entre amis, version «trash » ou « vintage », vont désormais s’asseoir devant leur « plasma » en dégustant une « pastilla » (Le Monde, 6 juillet 2004).


Billets d’humeur (4)

La fable de la parfaite bobone

Dans notre Manuel du Parfait Bobo (le MPB dans leur langage), manquait la femme - il serait plus juste de dire la version féminine -.

Non que nous souhaitions l’écarter de notre galerie de portraits où certaines bobones ont parfaitement vocation à voir racontée leur histoire ou du moins certains pans de celle-ci. Que le lecteur se rassure, ce n’était qu’une question d’opportunité. Dans nos cartons, il y avait bien déjà quelques forts spécimens : l’énorme silhouette noire bien connue des habitants de l’avenue en question, la napolitaine si fière de sa vue sur l’arc de triomphe, la journaliste multimédia à jamais fâchée avec son clavier…Mais c’est dans une mairie que nous la trouvâmes, vraie icône des Temps modernes et Chaplin(e) en jupon ; pour bien prendre la juste mesure de ce que peut bien représenter un horizon intellectuel à une heure de pointe, il nous faut ici brièvement narrer à l’ancienne son histoire et cela de manière presque morale. Enfin, si l’on peut dire.

Toute ressemblance avec une mairie existante ne saurait être que fortuite!
Il était une fois de plus dans cette mairie une coordination associative qui se voyait reprocher son dynamisme intempestif en matière de vaine tentative d’exister sur le web de l’administration locale. Et c’est là qu’apparut cette ancienne secrétaire, largement pourvue de savoirs autopromotionnels et devenue adjointe. D’Internet, du web et de ses trois WWW, elle ne savait rien. Cela lui fit ainsi figurer sur le papier officiel de la mairie - en guise peut-être d’animation citoyenne si déficiente - l’adresse d’un site à vendre où figurent notamment publicités de rencontre et promotion de produits censés à l’évidence rendre la vie politique locale…moins impénétrable.

Les réactions ne se firent point attendre. Et d’aucuns de louer une action mûrement réfléchie où la citoyenneté ainsi mise en exergue allait doper la vie associative au viagra ; d’autres, plus sérieux peut-être, se mirent à souligner d’une mimique décidée qu’enfin la mairie aux salles toujours désertes allait devenir un vrai lieu de rencontres(s).

Plus nombreux encore furent ceux qui ne purent que constater qu’au travers d’une histoire aussi hilarante (il paraît qu’elle aime bien Hillary), l’ignorance continuait ainsi de frapper cruellement leur mairie et que les champs d’incompétence de leurs élus étaient décidément multiples.

Bobone, quant à elle, continue de parler de ce qu’elle lit dans le Parisien du matin et à pérorer, devant des salles vides, sur la laïcité et - toujours et encore - la citoyenneté et la démocratie participative, bien que s’interrogeant fort peu sur le sens véritable de ces mots. Le public qui se hasarde à venir, quand il reste, se demande si la modeste subvention annuelle mérite bien un tel sacrifice intellectuel. Son mari d’ailleurs aussi quand, une fois dans l’année, la coutume veut qu’il soit physiquement présent : « à 9 heures, on boucle », lança-t-il la dernière fois en guise de commentaire introductif. Tout un programme, en effet, une belle fable en tout cas.

jeudi 10 octobre 2013

Don Quijote


En castellano

Nous allons commencer ce travail par un portrait de Don Quijote par Cervantes. Il nous dit qu'il est le fils de ses œuvres, son lignage, sa noblesse commence en lui-même. Il a 40 et quelques années, presque 50. Il était ami de la chasse, fils de la bonté, de tempérament colérique, pauvre et oisif, contemplatif. L'oisiveté et un amour malheureux l'on conduit à la lecture des livres de chevalerie et ainsi de peu dormir et de beaucoup lire, le cerveau s'est desséché, de telle façon qu'il en vint à perdre son jugement.

Mais je ne sais pas s’il était si fou que l'on dit, car à maintes reprises, il nous surprend par sa lucidité. Ainsi donc, sur le chapitre 15, quand il se bat avec des marchands auprès de son écuyer, seuls contre tous, et se voyant à terre, rompu sous les coups, dit à Sancho:
•    Vinieron los saracenos
•    y nos molieron a palos
•    que Dios ayuda a los malos
•    cuando son más que los buenos.
 (Les sarrasins sont arrivés et ils nous ont roués de coups car Dieu aide les méchants quand ils sont plus nombreux que les bons)

Dans une autre occasion il dit à Sancho que l'homme qu'il était ne pouvait pas, malgré sa condition de Chevalier, vivre sans manger, sans satisfaire à tous les autres besoins du genre humain.
Dans un premier temps, nous pouvons dire que Don Quijote est l'esprit de l'être, Sancho la chaire. Néanmoins, cela ne semble pas si facile à définir, car, parfois, Sancho devient Don Quijote et l'inverse.
Difficile est de parler aux Sanchos, nés, éduqués dans des lieux où l'on entend que de racontars ou des leçons magistrales, des prédications ou des causeries. Ils vous diront qu'ils comprennent mal, ou bien, ils vous comprendront de travers; ils se traduiront dans votre discours car ils ne vous écouteront pas en silence intérieur ni avec une attention vierge. On a beau se forcer à expliquer, ils n'iront pas, pour autant, aiguiser leurs sens. Ils ne sont pas habitués à écouter la silencieuse musique des voix des champs et des montagnes.

Les gens ne viennent pas pour écouter, sinon pour entendre quelque chose de déjà dit, apprise et non pas entendre ce que vous avez à dire. Ainsi, il faut parler seulement aux simples et leur parler sans essayer de se mettre à leur portée, car on est sûr, que même si vous vous élevez, ils s'élèveront avec vous et ils vous comprendront.

Une fois, un ami, qui s'est toujours refusé à sortir de son pays, a été obligé de me conduire à la frontière française. Un douanier français parlant très bien l'espagnol s'adresse à lui en espagnol. Celui-ci affolé s'adresse à moi pour me demander de traduire, comme si le douanier parlait un autre langage que le nôtre. Calmement, je l’expliquais que le douanier venait de s'exprimer en espagnol. Mon ami ne nous écoutait pas, il était affolé devant un étranger sensé parler une autre langue. Trois fois le douanier s'adressa à lui en espagnol, trois fois, j'ai dû expliquer que le douanier parlait en espagnol. A la fin, devant ce refus de comprendre, j'ai dû répéter, traduire, à mon ami ce que le douanier venait d'exprimer très clairement en espagnol.

Ne parlez donc pas, ne discutons pas avec ceux qui ne portent pas la lumière des sens ou qui ne perçoivent que le reflet de la lumière.
Don Quijote avait besoin de Sancho pour parler, pour penser à haute voix, sans retenue, pour s'écouter lui-même et pour entendre le refus vif de sa voix sur le monde. Sancho fut son cœur antique, l'humanité toute entière pour lui, et dans lui il aime toute l'humanité.

Don Quijote: l'écriture errante

Un animal est incapable de mentir, de dire ce que l'instinct ne fait pas, d'aller au-delà de la satisfaction. La passion, l'amour de l'amour, c'est l'élan qui va au-delà de l'instinct et qui, par-là, ment à l'instinct.
Quand on sait cela, on essaye de se débarrasser de l'enthousiasme et la tristesse métaphysique, du rythme intime qui nous abrite, et le faire disparaître, car la dialectique de la passion nous empêche de vivre en paix et dans le bonheur.

C'est ainsi que Don Quijote s'est lancé à sa quête, une quête vouée à l'échec, car elle essaye de faire taire l'instinct, l'amour pour Dulcinea (l'amour naturel) et cette impuissance à l'aveu.
Je donnerais une image de lui, la plus éloignée possible de la dialectique de la passion, mais,…    hélas, le drame est en nous, entre les lois inacceptables de la vie terrestre et finie, et leur désir d'une transgression de nos limites, mortelles mais divinisantes. Entre-les deux, nous installons les paroles que masquent notre impuissance face aux contradictions existantes en nous et à l'extérieur de nous.
En fait, Don Quijote ne serait grotesque que parce qu'il veut suivre une voie que le malheur des temps rend totalement impraticable. Il est contradiction, car Don Quijote, ce n'est que de la dialectique et l'analyse de son discours (car en fait, il ne fait que parler) a donné comme résultat des théories bien différentes et contradictoires. Il ne nous conduira qu'au Quijote que chacun a en soi. Chacun traduira sa propre expérience, sa propre quête. Nous ferons comme lui, dialoguer plutôt pour surmonter les contradictions qui minent de l'intérieur nos désirs, des influences que nous subissons, ou des contradictions dans lesquelles on vit, pour trouver le point à partir duquel elles pourront être maîtrisées.


Mais la cohérence du dialogue est le résultat de la recherche : elle définit les unités terminales qui achèvent l'analyse. Nous sommes bien obligés de la supposer pour la reconstituer et nous ne serons sûrs de l'avoir trouvée que si nous l'avons poursuivie assez loin et assez longtemps. Elle apparaît comme le plus grand nombre des contradictions résolues par les moyens les plus simples.
Les cohérences qui apparaissent dans le discours de Don Quijote peuvent conduire à établir les cohérences, même à son niveau, en tant qu'individu (sa biographie, ou des circonstances singulières de son discours). Mais nous pouvons aussi les établir et leur donner des dimensions collectives et diachroniques d'une époque, d'une forme générale de conscience d'un ensemble de traditions. Cervantes a mis toutes les deux en évidence, nous pouvons faire les deux sortes d'analyses. De toute façon, que l'on choisisse l'une ou l'autre, la cohérence ainsi que l'on trouvera, jouera le même rôle : montrer que ses contradictions immédiatement visibles ne sont rien de plus qu'un miroitement de surface et qu'il faut ramener à un foyer unique ce jeu d'éclats dispersés. C'est à la fois pour traduire la contradiction et la surmonter qu'on se met à parler. C'est pour  la fuir, alors qu'elle renaît sans cesse à travers le discours indéfiniment, que Don Quijote et Cervantes se mettent à parler.  Le texte de Don Quijote, ne sera donc pas un texte idéal, continu et sans aspérité, il est plutôt un espace de dissensions multiples, un ensemble d'oppositions différentes, comme Don Quijote lui-même.
Qui est Don Quijote? il n'est pas l'homme de l'extravagance mais plutôt le pèlerin méticuleux qui fait étape devant toutes les marques de la similitude. Il ne parvient pas à s'éloigner de sa plaine familière qui s'étale autour, il la parcourt, sans franchir jamais les frontières nettes de la différence, ni rejoindre le cœur de l'identité. Il ne sort jamais de sa région et ne rejoint jamais l'identité de celle-ci. Il est de l'écriture errante dans le monde parmi la ressemblance des choses. Il ne peut devenir le chevalier qu'en écoutant de loin l'épopée séculaire qui formule la loi (la loi chevaleresque). Il est moins son existence que son devoir. Sans cesse, il  doit consulter son livre et son chevalier (Amadis de Gaula), afin de savoir que faire et montrer qu'il est bien de la même nature que le texte dont il est issu (le roman de chevalerie). Mais nul dans le monde n'a jamais ressemblé à ce texte de roman de chevalerie.
En ressemblent aux textes dont il est témoin, Il doit fournir la démonstration qu'ils disent vrai. Il lui incombe de remplir la promesse des livres. Il doit combler des réalités les signes sans contenu du récit. Son aventure sera un déchiffrement du monde. Sa quête consiste non pas à triompher réellement mais à transformer la réalité en signe.

Don Quijote dessine le négatif du monde de la Renaissance: l'écriture et les choses ne se ressemblent plus entre elles. Il erre à l'aventure et dans la deuxième partie du livre, il doit être fidèle à ses livres qu'il est réellement devenu, il doit maintenir sa vérité. Mais il n'a pas lu son livre et sa réalité  la doit au langage, sans lui Don Quijote n'existerait pas. Sa vérité est entre les mots tissés par lui-même, pas dans le rapport mot/monde. La fiction déçue des épopées est devenue le pouvoir représentatif du langage, les mots se referment sur la nature de signes.
Roland Barthes nous dit dans son livre "mythologies": "qui est le fou Don Quijote? le fou est entendu non pas comme malade mais comme déviance constituée et entretenue, comme fonction culturelle indispensable. Ce qui reste de Don Quijote c'est le mythe parmi des gens qui ont peur du fou et qui le récupèrent pour l'institutionnaliser, le normaliser, l'analyser, le psychanalyser. Les gens restent étrangers à la folie par trop de rationalisme, de conformisme et peur du vide".

Le fou et le poète

Don Quijote ignore ses amies, reconnaît les étrangers, il croit démasquer mais impose un masque. Il invente toutes les valeurs mais sans les renverser. Il est différent dans la mesure où il ne connaît pas la différence. Il  ne voit partout que ressemblance et signes de ressemblance. Au contraire, le poète est celui qui au-dessous des différences nommées et quotidiennement prévues, retrouve les parentés enfuis des choses, leurs similitudes dispersées. Sous les signes établis, et malgré eux, il entend un autre discours, plus profond, qui rappelle le temps où les mots scintillaient dans la ressemblance universelle des choses. Le Quijote rassemble tous les signes et les combles d'une ressemblance qui ne cesse de proliférer. Le poète assure la fonction inverse: sous le langage des signes et sous le jeu de leurs distinctions bien découpées, il se met à l'écoute de l'autre langage, celui sans mots ni discours. Le poète fait venir la similitude jusqu'aux signes qui le disent. Le fou charge tous les signes d'une ressemblance qui finit par les effacer.

La vision de la femme dans el Quijote

Ainsi Dulcinea est vue du point de vue du fou et du sensé, on dira d'elle:
• Cervantes: "De buen parecer". (l'objet)
• Le marchand: "tuerta de un ojo y que del otro mana bermellón y piedra azufre" (la sorcière)
• Don Quijote: "de sus ojos mana ámbar de la gloria que en ellos mira (la déesse).
• Sancho: " moza de chapa, hecha y derecha, y de pelo en el pecho, que tiraba la barra como el más forzoso zagal de todo el pueblo. Se puso un día encima del campanario de la aldea a llamar a unos zagales y aunque estaban a media legua, así la oyeron como si estuviera al pie de la torre" (la matrone).
A ceci Don Quijote répondit: "por lo que la quiero tanto vale como la más alta princesa de la tierra"
En fait, il nous dit qu'il la voulait seulement pour l'invoquer par les chemins, les routes, sous le nom de Dulcinea, sa Dame, la dame des romans de chevalerie auxquels il voulait ressembler.

Dulcinea est là, on s'en sert, peu importe qui elle est, ce qu'elle dit, ce qu'elle fait, ce qu'elle désire. Personne ne demande son avis, personne ne l'écoute. Elle doit être la dame consentante offerte au chevalier errant fou. Peu importe, car elle ne prend pas part ni place ni parti dans une affaire pour laquelle elle n'a pas été consultée. Elle a le pouvoir de l'impuissance qu'elle transforme en mépris et moquerie. Bien sûr, elle est portrait de l'homme qui l'a dessinée, un homme de son époque avec toute la misogynie de son temps.

Nous sommes tous Don Quijote et Dulcinea,  tournons-nous autour de notre discours, suivons-nous la même loi établie, celle des livres, nous referons-nous constamment à la loi sans essayer de la dépasser, de nous dépasser nous-mêmes?

C'est par choix ou par fatalité que l'on devient Don Quijote, de l'écriture errante parmi les mots et les phrases? Cela nous prend toute notre vie ou c'est par étapes. Sommes-nous la puissante impuissante? Sommes-nous des boucs émissaires volontaires ou involontaires? Faisons-nous un voyage, et rien d'autre, à l'intérieur de nous-mêmes comme Don Quijote? Sommes-nous Alice au pays de Don Quijote. Sommes-nous, comme lui, un roman errant dans un monde réel qui nous échappe, ou c'est nous qui échappons au réel?

Don Quijote : libre, généreux, naïf, et courageux

En effet, il est, aussi, un être qui n'a pas peur du ridicule, il est capable des idées personnelles, de penser envers et contre l'avis des autres, de vivre et mourir pour ce qu'il croit être nom pas la vérité, mais pour ce qu'il croit le plus juste et le meilleur. Il ne fait du mal à personne, sauf à lui-même. Il a l'air de sourire, de se moquer sans méchanceté. Il ne profite jamais des autres, il paye sans cesse de sa personne. Il emploie la force contre les forts, jamais contre les faibles.

Il est seul parce que plus libéré, plus conscient que les autres. Il est une vivante affirmation. Il est homme de solitude, de fidélité, de pauvreté. Pour lui conquérir ne signifie pas posséder, c’est au contraire aller plus loin, se dépasser sans cesse. On rit de lui, on se moque, mais on n'ose pas le narguer longtemps, on redoute son impétuosité, son courage, car il ne fuit jamais. S'il encaisse de coups, il en donne, il se bat debout. Il a la volonté pour dominer un événement, voire un destin, de tirer un espoir d'une situation désespérée, de donner visage à l'informulé. Il a la volonté d'être un défi à l'abîme sans recours au ciel.

Enfin, il est l'homme libre, il a dû amalgamer beaucoup de contradictions, de déchirements, de lassitude, de révolte, de fureur, de rancœur, d'amertume. Il est, aussi, une calme mer toujours à la merci d'une soudaine tempête. (1984)


Don Juan, l’extrême solitude

DON JUAN ET LA LÉGENDE

Don Juan es un personnage légendaire qui a eu dans la littérature et au théâtre une brillante destinée. Son origine est espagnole. La Chronique de Seville raconte que Don Juan Tenorio tua une nuit le Commandeur Ulloa, après avoir enlevé sa fille. Les franciscains, dans la chapelle desquels, le commandeur avait été enterré, attirèrent Don Juan dans leur couvent, et le tuèrent. Ils firent courir le bruit que Don Juan était venu insulter le commander sur son tombeau, et que la statue l'avait englouti et entraîné dans l'enfer. Les poètes ont adopté la version des franciscains et ont attribué le châtiment au ciel. Le premier, Tirso de Molina (un moine) composa la comédie: "El Burlador de Seville y el Convidado de Piedra".

LE DON JUAN LITTÉRAIRE ESPAGNOL
L'Espagne du Siècle d'or a donné à notre culture le personnage de Don Juan, avec une pièce, produite vers 1620, du moine Gabriel Tellez, de l'ordre de la Merci, plus connu sous son pseudonyme de Tirso de Molina. Le titre original et fameux de cette pièce est "l'invité de Pierre" avec un sous-titre "Le Trompeur de Séville". "Tan largo me lo fiaís", (quel long délai tu me donne), c'est le leitmotiv du « Burlador » quand on lui rappelle que le temps des hommes a une fin.
La légende de Don Juan n'est pas la même chez Tirso, Mozart, Molière ou Zorrilla. Nous analyserons ici que les versions de Tirso y Zorrilla.

DON JUAN ET L'ÉCRITURE
"Écrire est aussi une sorte de thérapeutique qui permet de surmonter la désillusion, la monotonie; elle fait travailler l'imaginaire, elle peut être aussi un moyen de communication, un moyen de défense".
Don Juan est un texte pour être analysé à des fins de déconstruction ou tout simplement de nature ludique. Don Juan ne se questionne pas, il vit, il agit, il n'est pas un penseur, mais un « simple » qui a su découvrir l'intuition de l'individuel face au penseur qui a l'habitude de se perdre dans des lois générales. La tâche consistera donc à essayer d'exprimer avec clarté conceptuelle la vérité implicite de Don Juan.

Nous nous trouvons donc face au texte de Don Juan et nous appercevons deux personnages: le Don Juan individuel qui vit et le Don Juan qui est tout en même temps signe, idée et image. Autrement dit: Don Juan vit, le lecteur le pense. Don Juan est une image et l'idée est un signe des choses tout comme l'image est le signe de l'idée. Il est, à partir de cette prémisse, signe d'un signe, je peux donc reconstruire sinon le corps, tout au moins l'idée que j'ai de ce corps. Pour arriver à l'idée singulière de Don Juan, je dois passer par une série d'autres signes encore.

Écrire n'est qu'une tentative de séduction et la séduction est la sédation de notre frustration universelle. Lénitifs de la séduction:
1) Détourner du bien, voire faire tomber en faute (corrompre)
2) Séduire par l'argent (acheter, subordonner)
3) Chercher à séduire une femme, débaucher, déshonorer
4) Détourner du vrai, faire tomber dans l'erreur, être séduit par les apparences (abuser, égarer, tromper).
5) Gagner quelqu'un (conquérir, attirer)
6) Attirer de façon puissante, irrésistible, sans créer ni entretenir d'illusion (attacher, captiver, charmer, entraîner, fasciner, plaire, tenter)
7) Séduire, c'est bien évidemment à la fin persuader.
8) Nous pouvons ajouter provoquer, faire réagir...

LE PERSONNAGE DE DON JUAN
Don Juan est espagnol, certes, mais un Andalou déraciné, qui revient après avoir fait le tour du monde, qui apprend sa technique dans ses allées et venues à travers les cours d'Italie et d'Espagne. Il y a 4 éléments constitutifs du personnage: le séducteur, le rebelle, le prince du temps, le vivant. La séduction, la rébellion, le choix du temps contre l'éternité, la mort. Nous trouvons trois invariants:
1) l'inconstant
2) le groupe féminin pluriel
3) le mort
L'inconstant cour de femme en femme (groupe féminin); lors d'une de ses entreprises galantes, il tue le père de la femme séduite, ce père assassiné sera le mort provoqué et punisseur. Deux phases décisives: une séduction suivie d'un meurtre, puis la rencontre du mort, d'où naît le dénuement.
Don Juan existe au travers du discours d'un autre, il est représentations du désir immédiat, la tromperie contre les lois et l'ordre. Il ne soutient pas des conversations philosophiques sur le pouvoir ou l'argent, il affirme tout simplement qu'il est riche et noble et que cela lui donne des droits. Il dépend de l'instant, s'empare du présent et fait face à la réalité immédiate. Il ne viole, ni force jamais une femme, il séduit et il est séduit. Don Juan n'est pas un coureur de jupons, il est plutôt un anticonformiste, un hors la loi, un marginal, mais un écarté de la société par choix.

Don Juan se moque de la femme et méprise l'homme. Ce qui veut dire qu'il se moque du désir, du présent, de l'honneur, de l'inconstance, du feu de la passion, de l'injustice, des désordres matériels, et qu'il méprise le devoir, l'éternité, le futur, l'honneur, la constance, le feu éternel, la justice et l'ordre spirituel. Il lance un défi perpétuel à la société, à l'Église et à Dieu. Chez Don Juan il n'y a ni conscience, ni réflexion ni temps antérieurs. Don Juan ou la lutte entre le séducteur et Dieu. Il aime la minute de l'illusion qui passe, mais cet amour prévoit déjà le désespoir et la mort. Il n'est pas foudroyé au moment du présume délire érotique, ou dans la tromperie, il succombe au cours d'un dialogue métaphysique qui oppose l'homme à Dieu. Don Juan affirme l'homme dans sa nature profonde, il reste Don Juan jusqu'au but. Il suit son bon plaisir, il le fait avec éclat et une gaieté propre à scandaliser le vulgaire, mais il se laisse prendre au piège et tombe sur une loi qu'il dit ne pas reconnaître, il s'y jette. Don Juan n'est pas libre, il n'est même pas libre de choisir sa mort et il a peur de cette mort. Il est un instrument pour libérer l'homme. La mort est le fond même de sa vie, le contrepoint et la résonnante de son apparente jovialité, elle est sa suprême conquête, l'amie fidèle, toujours sur le pas, l'imminence constante de la mort consacre ses aventures.

Le désir chez Don Juan est dispersion infinie, il ne saurait s'assouvir ni se reposer en aucun être, la possession physique de l'objet de ce désir aussitôt l'en éloigne, rend cet objet indésirable. Don Juan apparaît déguisé, protégé par la nuit, venant de séduire Isabelle sous le masque d'Octavio, son amant. Don Juan choisit le masque et sous le masque disparaît dans la nuit. Don Juan est maître du commencement et de la fin, il est maître de l'illusion, d'y rentrer de s'y laisser submerger, de la subir, mais aussi de s'y soustraire, de la casser; c'est ainsi qu'il échappe, qu'il s'échappe. Il n'est jamais pris ou prisonnier. Il ne réapparaît que pour disparaître, il se déguise pour échapper, il est insaisissable du fait de sa mobilité, de sa métamorphose. C'est toujours lui qui possède l'initiative

DON JUAN ET SON DISCOURS
Don Juan se définit comme:
1) Un homme sans nom
2) La tromperie est mon habitude
3)  On m'appelle le trompeur de Séville et le plus grand plaisir que j'ai est de trompeur une femme et laisser sans honneur.
4) Le troc j'adore
5) Je suis noble chevalier, tête (aîné) de la famille des Tenorios, anciens gagneurs de Séville.
Quand le roi le surprend avec Isabelle, il répond à la question: qui es-tu? « Un homme et une femme », c'est à dire Don Juan se définit non pas comme un être individuel, mais comme un symbole, un être ou pluriel, un homme noble, aimant la tromperie et l'échange. Il donne ses grâces contre la promesse de mariage, promesse qui ne sera jamais tenue. Le marché proposé par Don Juan est le mariage contre l'honneur, marché que Don Juan ne respecte jamais.

Don Juan est une puissance impersonnelle de séduction, un être passif sans calcul, dont le propre est de subir les événements en s'y adaptant, avec une sorte de génie picaresque. Il est la faculté de tirer parti des mauvais pas où il peut se trouver entraîner et de rétablir la situation à son avantage.
Don Juan-un-être-des-désirs, donnant grâces et cueillant charmes en retour. Lois de circulation et d'échange régissent le mécanisme, économies minant production, accumulation et change.
Don Juan paie avec des mots, chaque femme est payée de mots, parée de promesses. Réversibilité du mouvement et du signe, le mot a perdu son pouvoir de dénomination, de dénotation. C'est le commencement de la modernité, la lettre, la culture se vulgarise et perd son signifié-signifiant. Langage comme révolution contre le pouvoir établi, contre la loi, le pouvoir des mots contre le pouvoir en place. Don Juan trompe, mais aussi tout subordonné trompe celui qui est subordonné à son tour, néanmoins, Don Juan trompe par plaisir. Il se moque de celui qui est en haut et de celui qui est en bas.

DON JUAN DÉFINIT PAR LES AUTRES
Il est définit comme fumée, poussière, feu, neige, grand parleur, châtiment de femmes et trompeur d'Espagne:
1) Démon enveloppé de fumée et puissance
2) Vous venez fait d'eau et vous êtes imprégné de feu et si mouillé vous brûlez, tout en étant sec qu'est-ce que vous feriez?
3) Beaucoup de feux vous promettez.
4) Tout en étant la neige vous brûlez
5) Vous parlez beaucoup
6) Châtiment de femmes
7) Le grand trompeur d'Espagne
8) Langouste de femmes

DON JUAN ET LE SYMBOLE
Tenorio veut dire posséder, et aussi ténor, le chanteur à la voix équivoque, dont les notes, dans la sérénade nocturne volent comme des flèches empoisonnées. Don Juan ou le symbole du ferment tragique qui larvé se trouve dans les tréfonds de tous les hommes, les soupçons que tous nos idéals sont mutilés, incomplets, frénésie d'une heure d'ivresse qui s'achève en désespoir. Symbole du désir fugace, la temporalité, la mobilité. Symbole séducteur, mais non pas sans doute le séducteur vulgaire, il est un grand seigneur libertin, un homme à bonnes fortunes à une certaine époque ou la femme avait un rôle en tant que marchandise.
Don Juan symbole du mélange de l'amour et la mort qui prend tout son sens en relation avec la faute. Don Juan périt parce qu'il a transgressé les lois divines et humaines, il est coupable d'avoir cédé à une force sacrée qui devait demeurer cache, mais il est aussi le symbole de la gaieté, santé, surabondance de vie puissante du présent et plus encore avide du futur et lointain.


LA FEMME DEFINIT PAR L’HOMME
La femme est définie par:
1) Le roi: "ah, pobre honor, si eres alma de hombre ¿por qué te dejan en la mujer inconstante?"
2) Octavio: "que la mujer más inconstante es, en efecto, mujer".
3) Batricio: "que el honor y la mujer son malas en opiniones, la mujer en opinión siempre pierde más que gana que son como campanas que se estiman por el son.
C'est à dire que la femme est inconstante, elle n'a pas d'honneur, elle est mauvaise conseillère, elle n’as pas d'opinion. Le Don juanisme suppose un degré subtil de liberté et d'aliénation chez la femme; il faut qu'elle enfreigne beaucoup de tabous moraux, religieux, sociaux.
Don Juan est la promesse de mariage, l'épouser du genre humain. Le contexte social est si important que finalement certaines femmes reprochent moins au burlador de ne plus aimer que de ne pas les épouser. Ici apparaît nettement à quel point, dans l'univers de don « juannisme », il est nécessaire que la femme soit attachée aux interdits qui la ligotent.

ZORRILA Y TIRSO
Le Tenorio de Zorrilla, est un moment important de la métamorphose du thème de Don Juan, deux personnalités opposées, en un même personnage. La première est l'imitation assez fidèle de celle de Tirso: c'est le saccageur, mais Zorrilla a introduit un deuxième stade: le Don Juan amoureux, séduit enfin par une femme. Sur la deuxième partie on nous montre l'évolution du repentir, le cheminement de la conversion, le combat entre le premier et l'homme nouveau racheté par amour. A la fin de la pièce apparait la miséricorde de Dieu et l'apothéose de l'amour et par là-même un hymne à la femme, elle apparaît en reine, Dieu est humanisé, la femme divinisée.
Du XVII nous passons au XIX et les concepts changent, nous entrons dans la modernité et avec elle des nouveaux concepts apparaissent. Le premier Don Juan brave audacieusement le ciel et descends aux enfers, il est condamné, il s'écrit à la dernière minute: qu'on appelle un prêtre pour que je me confesse et qu'il m'absolve, l’auteur était moine et moine de son époque, il ne transige pas, ne se laisse pas attendrir par ce repentir tardif et il lui répond: il n'est plus temps, tu te souviens de mois trop tard. Zorrilla lui pardonne, ce qui représente une victoire de la foi populaire, la foi du charbonnier, Don Juan pense sur la tombe de la femme aimée ce qui revient à dire qu'il n'est plus Don Juan. L'élément légendaire, l'orgueil satanique et la vision de sa propre mort disparurent quand le mythe évolua.

Dans le XIX siècle Don Juan devient un problème physiologique et sensuel, il ne se souviendra plus de la statue du commandeur, il n'invitera plus jamais les morts. Nous nous trouvons face à la rivalité de deux hommes: Don Luis/Don Juan. Deux pères aussi, celui de Don Luis et celui de Don Juan. Seulement le valet et la Celestine aident Don Juan dans sa tromperie, il n'y a plus de complicité entre Don Juan et le pouvoir réel. Apparaissent l'amour et la Rédemption. Les thèmes ne sont pas mythologiques comme chez Tirso. Nous ne retrouvons plus le thème du temps, si important pour Tirso. Chez Zorrilla, le langage est moins hermétique. La proie de Don Juan est jeune et sans expérience, enfermée dans un couvent, elle a 17 ans. Nous voyons apparaître le discours sur le dehors et ses plaisirs, face au monde intérieur du couvent. L'amour moderne entre en scène et avec lui naisse une nouvelle conception de la séduction, Ines tombera amoureuse du monde de dehors et ses plaisirs, de la liberté, le savoir. Nous nous trouvons en face d'un Don Juan plus nuancé, moins radical, et en même temps, plus cruel, plus amoral. Il paraît accepter l'excitation insensée pour la soumission finale. Dans le premier Don Juan la main de la justice humaine facilite aussi bien la tromperie que la fuite, et la main de la justice divine le condamnera, tandis que dans celui du XIXème, il est sauvé par l'amour et l'amour d'une femme.

La grande innovation chez Zorrilla c'est d'avoir juxtaposé deux sortes de merveilleux: un Don Juan macabre, fait de statues de spectres, d'ombres, de couleurs, d'os, de cendres et de feu et un autre bien veillant, flamboyant, fait de fleurs, d'angelots, de musique, de lumière d'aurore. Alors, que chez Tirso le merveilleux final était justifié par une volonté de didactisme, chez Zorrilla il relève la préoccupation romantique d'un certain esthétisme et le goût de la profusion allant jusqu'à l'outrance.
La fin de Tirso est brutale et brève, définitive, celle de Zorrilla est long douce et par paliers successifs. Le Dieu de Tirso est austère et intransigeant de l'Ancien Testament, celui de Zorrilla est bien celui du Nouveau Testament.

CASAVOVA ET DON JUAN: LE TYPE ET LE MYTHE
Un type est un abstrait réel, le héros mythique, un réel concret. Typer, c'est dégager à partir des individus observables un certain nombre de traits représentatifs d'une catégorie. Le mythe meurt dès que les rêves des hommes cessant d'aller de l'imaginaire vers le réel sont inversement orientés du réel à l'imaginaire.

Casanova est un type, comme le roué du même siècle. Casanova a des traits du personnage typique que s'oppose à l'essentiel héros mythique. Celui-ci n'a pas de traits, il est une silhouette, une individualité animée d'une dite force unique.

Don Juan, le mythe, est un conflit incarné dans un personnage exemplaire, en conflit entre le choix rebelle de l'immanence contre une transcendance insupportable. Il vit et il est dit par les autres. Casanova vit et il est dit par lui-même, d'où l'égocentrisme, la pédanterie, voir la névrose du "je" de Casanova, révélé si bien par le film de Felini.

Don Juan est un être qui vit pour le social, contre le social, le héros prêt à remettre en question, à se remettre en question, payant de sa personne. Casanova est l'anti-héros préoccupé par lui-même, égocentrique et névrose, Don Juan et son dérivé: le don juanisme incarné par Casanova, l'esprit devenant matière, le mythe qui meurt dans le réel et se fait imaginaire chez Casanova.

DON JUAN ET L’EXTRÊME SOLITUDE
L'homme vaillant est prêt à donner sa vie pour quelque chose qui soit capable de la remplir, c'est ce que nous appelons l'idéal, et Don Juan il est toujours prêt à donner la sienne. Don Juan ou l'historique d'un défi, d'un amour du danger qui conduira irrémédiablement à la mort, il est une perpétuelle recherche de la mort; il se révolte contre l'ordre établi. Il joue avec la mort, avec les femmes mais celles-ci ne joueront pas avec lui, elles ne sont pas tout à fait ses complices, elles ne sont pas libres. 

Don Juan rivalise avec les hommes à travers la séduction de la femme. Il ne s'agit pas pour Don Juan d'une recherche intérieure, mais d'une recherche du néant, il cherche le salut à travers la mort comme unique solution à l'impuissance et le désespoir.
Don Juan ne s'arrête pas, n'écoute pas, il ne fait pas le silence, il s'étourdit, il défie pour oublier sa peur, seule présence à la fin de la pièce. Don Juan orgueilleux, révolte contre le pouvoir. Don Juan ou l'action sans profit.

De même que la nature a besoin de tempêtes et des cyclones, pour donner carrière à son excès de force, un révolté combat contre sa propre stabilité. L'esprit a besoin de temps en temps, d'un être démesuré, dont la puissance se dresse contra la communauté de la pensée et la monotonie de la norme. Ces révoltés héroïques ne sont pas moins des sculpteurs silencieux car c'est toujours uniquement par des natures tragiques que nous prenons conscience de la profondeur des sentiments et ce n'est que grâce aux esprits démesurés que l'humanité reconnaît sa mesure extrême. (5-11-1985)