Janvier 2006
Impossible de ne pas s’en rendre compte : de décerner médailles et prix connaît, en ces temps d’immatérialisation des services un bien curieux renouveau. Elle semble même faire fureur au point qu’il devient impossible de prendre tranquillement un verre dans une réception sans qu’il ne s’y trouve un participant s’entêtant à vouloir transcender le concert des paroles pour … remettre un prix. Gare d’ailleurs aux manifestations qui n’auraient à fournir aux médias le leur : c’est carrément les décourager d’assister à votre rencontre.
Amis lecteurs qui seriez de ceux à ne pas encore détenir d’objets matérialisant l’un de ces prix - l’un de ceux qu’il ne vous viendrait même pas à l’idée d’acquérir pour un euro dans la boutique de l’indien du coin -, voici quelques conditions à remplir.
La première consiste évidemment à ne fâcher personne, on aura bien compris que ce n’en était pas là généralement l’objectif : il est donc essentiel de n’avoir rien fait, ni accompli dans quelque domaine que ce soit ; sinon, bien évidemment, vous auriez forcément au moins un ennemi qui ne songera jamais à prononcer votre nom dans l’intention de vous distinguer d’autrui. Si tel était votre cas, pensez fort à occulter tout ce qui pourrait, à un titre ou à un autre, vous être dû. Il sera largement temps de le rappeler, une fois photographié avec votre prix en main.
Seconde condition, tout droit issue d’un monde saisi de networking aigu : savoir qu’on ne donne qu’à son propre réseau, tout en réservant naturellement une médaille - pas voyante ou, encore mieux, trop voyante - au soldat inconnu qui se répandra volontiers en louanges à votre égard (c’est même là l’une des conditions d’une bonne remise des prix : tous les formateurs le savent, il est impératif de mettre les cancres de son côté). Jouer les cancres relève ainsi en la matière d’une vraie stratégie.
Troisième impératif : se rendre compte que l’organisateur doit nominer large. A quoi ressemblerait une remise sans public?. Pour profiter de l’inflation du stock de César accessoires - la citation d’une association en constitue le meilleur créneau, cela n’intéresse personne -. Ou bien évidemment figurer soi-même au jury, pratique fort courante ces derniers temps.
Vous voilà donc potentiellement enrubannés et décorés ! Mais vous ne saurez pas pour autant combien une association devrait vous être redevable ou un cabinet de communication, vous et vos co-primés. Dommage au fond, car une récompense peut, il est vrai, le cas échéant faire rêver et peut même inciter à se mobiliser : au lieu de cela, c’est tout un écosystème que nous observons, de renvois réciproques d’ascenseurs peu virtuels et ce sont de bien mauvaises comédies que nous jouons devant les plus jeunes et les plus entreprenants d’entre-nous.
Plaute et Térence sont de retour, avec qui plus est des acteurs fatigués et des planches usées. Lors d’une toute récente remise de hochets, deux jeunes rentrèrent ainsi dans la salle ; l’un s’étonna : « je croyais que nous avions changé de monde », soupira-t-il. Et l’autre de lui répondre, sans plus de ménagement : « ici, c’est le musée, le savoir c’est en face »
On notera que toute ressemblance avec des personnages existants ne saurait être que purement fortuite, nous déclinons donc toute responsabilité à l’égard d’une quelconque ressemblance dont pourraient faire état certains de nos contemporains.