lundi 9 mars 2009

La journée de la femme

C’était au théâtre. Oui, c’est bien cela car il y a bien un théâtre dans le petit bourg en déficit chronique - faute de public intéressé à réfléchir sur lui-même -, mais il y en a un.
ELLE le voyait, ELLE était émue. Au moment où le spectacle se déroulait, ELLE était à quelques centaines de kilomètres de là, mais ELLE voyait la scène comme si ELLE y était: ceux qui étaient prêts à s’endormir, ceux qui à l’inverse donnaient l’impression qu’ils n’avaient jamais parlé de leur vie et qu’il leur fallait maintenant absolument se rattraper, la famille ou ce qu’il en restait après s’être déchirée sur bien des choses - toujours sur ce qui n’avait aucune importance, mais jamais sur ce qui pouvait en avoir -. ELLE en voyait un notamment qui faisait comme s’il faisait l’objet de l’attention de tous et à chaque fois surpris qu’il n’en était rien: on ne voyait pas d’ailleurs qui pouvait lui demander quoi, il n’avait jamais aidé personne sauf soi même. Un autre aussi qui se demandait ce qu’il pouvait bien faire là.
Mais il y avait surtout LUI, sur la scène, il avait accepté de revenir pour clôturer la fête. Il l’avait d’ailleurs certainement fait pour ELLE, pour montrer que, grâce à ELLE et à ses multiples sacrifices, il avait pu partir, avoir la meilleure des formations et surtout ne jamais connaître ce que elle avait connu. Il était venu - et il a bien fait - pour leur dire que les meilleurs étaient partis après tout ce qu’on leur avait fait subir, mais que lui en quelque sorte la représentait ce soir ou plus exactement aller la remercier: oui, il avait bien fait de venir ainsi parler d’ELLE. Et en effet il a bien utilisé la fin du spectacle pour cela, c’en était touchant, même à distance: chacune de ses intonations était une sorte de provocation pour un public qu’ELLE imaginait médusé. Il avait aussi fait plaisir à toutes ses amis – ELLE en avait quand même beaucoup -, et ceux là se disaient qu’ils avaient somme toutes bien fait de venir, juste pour cette phrase. Cela n’était pas seulement une phrase d’ailleurs. ELLE l’entend d’ailleurs dire: «Je voudrais surtout vous parler d’ELLE…» et chacun de ses mots devait en être un témoignage éclatant.
ELLE était heureuse, donc. Heureuse de sa dignité, de son mépris des apparences.
Le lendemain, on l’appela. Forcément ses pensées pour ELLE n’avaient pas laissé indifférent. Ses amies allaient l’appeler pour dire tout le bien qu’ils avaient pensé d’un tel geste de gratitude. C’était une brave femme que, toujours prompte à rapporter les moindres faits, l’appela. ELLE lui demandait bien sûr comment elle avait trouvé la prestation. «Bien», lui dit-elle sans autre forme de commentaire. ELLE insistait: «comment trouvait-elle ce qu’il avait dit». «Je n’ai rien entendu de particulier». Elle n’osait lui raconter ce qu’ELLE avait pourtant vu et entendu la veille et revins à l’assaut: «Comment as-tu trouvé son témoignage?». Elle commençait à comprendre, mais ne sut pas mentir. Elle n’insista pas, toute penaude de sa franchise et prit congé.
ELLE se réveillait à soi-même. ELLE est donc coupable d’avoir existé, pire: coupable d’avoir gagné. Il n’a donc pas osé profiter de l’opportunité qui lui était ainsi donné, une opportunité unique pour rétablir les choses avec force, déchirer le voile de toutes les hypocrisies, bref être lui-même. Sans s’en rendre compte très certainement, il aura ce jour là effacé une partie de son être, de son passé: il avait pris la posture d’un Saint Pierre qui avait oublié la pierre qu’il devait être. Le coq avait chanté bien tard ce soir là.